- DÉPRESSIFS (ÉTATS)
- DÉPRESSIFS (ÉTATS)Sous l’appellation de dépression nerveuse ou sous celle, plus juste, d’état dépressif, on désigne en psychiatrie un état pathologique fondé essentiellement sur deux séries de troubles: d’une part, une modification pénible de l’humeur (J. Delay) faite de pessimisme, de sentiments d’incapacité, d’impuissance, de dévalorisation de soi-même, de culpabilité; d’autre part, un ralentissement de l’activité générale, des fonctions intellectuelles et du comportement psychomoteur. Si les processus intellectuels sont ralentis, ils se déroulent cependant de façon adéquate. Il n’y a aucun trouble véritable de la mémoire, du jugement et de l’attention, même si le malade, subjectivement, se plaint de tels ou tels troubles.À ces deux séries de symptômes s’associent d’autres troubles, le plus souvent physiques: douleurs, troubles digestifs, manque d’appétit, diminution de la libido, troubles du sommeil (insomnie; plus rarement, hypersomnie; quelquefois dyssomnie, c’est-à-dire impression de mauvais sommeil). Il arrive, d’ailleurs, que ces symptômes physiques sans support lésionnel précis constituent la partie la plus apparente du tableau clinique et que l’état dépressif vécu par le malade ne puisse être mis en évidence qu’après un entretien assez poussé, lorsque le malade n’a pas lui-même vraiment conscience de ce qu’il supporte de pénible. On peut alors parler de «dépression latente» ou de «dépression masquée» (Kielholz).D’autres troubles mentaux (obsession, phobie, délire) peuvent reposer avant tout sur une organisation dépressive et disparaissent avec elle lorsqu’on la traite. On constate enfin que, pour lutter contre un fond dépressif, certains sujets sont amenés à développer une série de conduites antidépressives (hyperactivité, réaction de caractère de type coléreux, jalousie, conduite alcoolique surtout) capables, avec plus ou moins de succès, de compenser le fond dépressif. C’est ainsi que, de la maladie dite dépression nerveuse, on passe insensiblement à un trouble de l’organisation de la personnalité, voire à une manière d’être au monde. L’état dépressif n’a pas, en effet, que des aspects négatifs; il peut aussi représenter, pour la personnalité, une phase de réorganisation au cours de laquelle le monde extérieur sera désinvesti de ses attraits au profit de ceux de la personne propre. Il s’agit plus alors d’un trouble de l’économie affective, le sujet se déprimant pour éviter, en quelque sorte, de s’enliser dans la dépression pathologique. On est ainsi à la limite du normal.Si l’on s’en tient aux états dépressifs pathologiques proprement dits, les statistiques de l’Organisation mondiale de la santé estiment à 5 ou 10 p. 100 la fréquence dans le monde de tels états. Environ 10 p. 100 de ces cas sont soignés, les quatre cinquièmes par des médecins non spécialisés, un cinquième seulement par des psychiatres.On admet généralement que les états dépressifs se développent de plus en plus dans le monde contemporain. Surtout dans les pays industrialisés et pour différentes raisons, ils sont plus fréquents après l’âge de cinquante ans et augmentent avec la longévité de la population. Ils sont plus nombreux dans certaines sphères culturelles en voie d’«occidentalisation», alors que, dans d’autres régions, par exemple dans les pays musulmans, la pratique religieuse semble freiner non seulement la dépression mais les tentatives de suicide. Les excès alimentaires, qui augmentent les risques de maladies cardio-vasculaires, entraînent du même coup une fréquence plus grande des états dépressifs, assez souvent liée à des désordres vasculaires chez les personnes âgées. Enfin, l’extension des thérapeutiques médicamenteuses a fait découvrir l’existence de dépressions iatrogènes consécutives à des régimes excessifs, à l’utilisation de certaines drogues anti-hypertensives, de corticoïdes, etc.On est mieux informé, dans l’opinion sur les symptômes des états dépressifs et le diagnostic en serait plus répandu qu’avant la Première Guerre mondiale. On tend à codifier au maximum la symptomatologie dépressive à l’aide d’échelles d’évaluation (Hamilton, Mongomery-Asberg), utilisables à la fois par les psychiatres, les médecins généralistes et les infirmières. On y recourt pour juger de l’effet de nouveaux médicaments antidépresseurs, mais aussi pour permettre des comparaisons transculturelles, entre pays de culture différente par exemple, grâce à un langage commun plus homogène.Les aspects cliniquesOn décrit deux grandes formes cliniques de dépression, qu’on désigne par les appellations tantôt de dépression mélancolique et de dépression névrotique, tantôt de dépression endogène et de dépression exogène. Tout en se gardant de les rattacher à des catégories nosologiques discutables, on repère, d’une part, des états dépressifs majeurs, d’autre part, des états dépressifs mineurs (les premiers correspondant à peu près aux dépressions mélancoliques, les seconds aux dépressions névrotiques).La dépression mélancoliqueDans la dépression mélancolique, la douleur morale est très vive, la dévalorisation et la culpabilité sont intenses. Ces sentiments sont parfois si pénibles qu’ils peuvent être à l’origine, d’une part, d’une déformation de la réalité et d’idées délirantes telles que l’auto-accusation (par exemple, on s’accuse d’un crime que l’on n’a pas commis), la négation (de sa propre existence, du monde environnant), la persécution (on est persécuté, car on a commis une faute), d’autre part et surtout, de troubles du comportement et essentiellement de conduites suicidaires. Le suicide, qu’il survienne au cours d’une crise anxieuse intense ou qu’il soit préparé méthodiquement pendant des jours, répond à un profond désir de mort et illustre bien la notion freudienne de «pulsion de mort»; il existe, par ailleurs, des équivalents suicidaires sous la forme de restriction alimentaire, de fugues hors du milieu habituel, de refus de toute thérapeutique et de toute prise en charge. La dépression mélancolique se caractérise aussi parfois par un grave ralentissement de l’activité, notamment dans les formes stuporeuses qui se traduisent par le mutisme, une idéation très pauvre et monotone, et sont entrecoupées par des phases d’agitation. Les symptômes physiques sont toujours présents et l’insomnie parfois complète. Elle s’associe aussi à une anxiété intense, au refus de s’alimenter; une évolution maligne peut se produire sous la forme d’un délire aigu avec une déshydratation et une élévation du taux de l’urée sanguine qui aboutissent à la mort si le traitement n’est pas entrepris à temps.La dépression mélancolique se déroule à l’intérieur d’un tableau qui évoque la psychose maniaco-dépressive décrite par E. Kraepelin. Il s’agit là d’une affection au cours de laquelle alternent périodiquement soit des accès de type mélancolique souvent prolongés (de quelques semaines à quelques mois), soit des accès de type maniaque, c’est-à-dire caractérisés, à l’inverse de l’état mélancolique, par l’euphorie ou l’excitation... Sauf complication, l’évolution de ces dépressions mélancoliques conduit à la guérison. La gravité de la dépression mélancolique est ainsi très variable; elle dépend soit des éventuelles complications, soit de la périodicité et de l’espacement des récidives: les accès peuvent être très rares (un ou deux dans une vie) ou se succéder presque sans interruption, comme dans la forme circulaire, où le malade passe aussitôt d’un état mélancolique à un état maniaque et vice versa. Il existe enfin des formes qui sont à la limite de la normale et que l’on rapporte à une constitution cyclothymique, marquée par des variations légères de l’humeur, soit dans le sens de l’expansion, soit dans le sens de la dépression.Avec Leonhard, on décrit une forme unipolaire avec dépression récidivante et des formes bipolaires alternantes (dépression et expansion). Les recherches sur le caractère héréditaire de ces différentes formes se sont beaucoup développées; elles permettent de conclure à l’existence probable d’un facteur génétique, surtout dans les formes bipolaires. En ce qui concerne les dépressions mélancoliques, elles se fondent ordinairement sur des études généalogiques qui révèlent l’existence de troubles similaires chez les ascendants. On arrive à montrer, par exemple, que plus la parenté avec le patient pris comme point de départ de la recherche est proche, plus le risque de dépression mélancolique est grand, et l’on arrive à calculer ce risque, étant entendu qu’il est maximal lorsque le bagage génétique est le même d’un sujet à un autre, ce qui est le cas des jumeaux monozygotes, la concordance pouvant alors atteindre environ 60 p. 100. L’existence d’un facteur héréditaire n’élimine pas, pour autant, l’incidence d’événements agissant comme facteurs déclenchants de la dépression mélancolique dans la vie de certains individus: c’est le cas notamment des deuils, des séparations, des revers de fortune...La dépression névrotiqueLa dépression névrotique est caractérisée d’une façon générale par la même symptomatologie. Cependant, la douleur morale y est moins intense, la culpabilité plus voilée. Les troubles somatiques ne sont pas constants; les troubles du sommeil relèvent plutôt de l’hypersomnie ou de l’insomnie obsédante que de l’insomnie réelle.Il s’agit surtout d’un phénomène de décompensation d’une personnalité névrotique consécutif à un traumatisme ou à une modification de l’entourage. Ce qui caractérise les déprimés névrotiques, c’est le type des relations qu’ils entretiennent avec autrui, le besoin perpétuel qu’ils ont de se revaloriser, leur appel constant, plus ou moins évident, à l’aide affective. L’étude psychanalytique de tels malades révèle un trouble essentiel de l’économie narcissique, de l’estime de soi. Ils ont souvent un «idéal du moi» exigeant, duquel ils tentent en vain de s’approcher. Ils acceptent difficilement de renoncer, comme la condition humaine les y astreint, à leur sentiment de toute-puissance, vestige de la toute-puissance infantile qu’ils ont déléguée tout d’abord à la mère et qui les porte maintenant à s’appuyer sur des personnes ou des situations extérieures qui réaliseraient plus ou moins valablement ce modèle. Le médecin peut jouer ce rôle d’appui, mais aussi le métier ou un idéal esthétique, politique, religieux. Si ces personnes, ces idéaux ou ces situations – et c’est inéluctable – se révèlent imparfaits, ce peut être la chute dans la dépression.Une personnalité souffrant d’une telle fragilité narcissique tombe facilement dans un état dépressif à la suite d’une série de circonstances vécues comme la perte d’un objet dont elle ne parvient pas à faire le deuil: rupture amoureuse, dévalorisation de la part d’autrui, échec familial, mort d’un proche ou d’un ami. La psychanalyse, en effet, et notamment l’étude de Freud intitulée Deuil et mélancolie , ont montré que le dépressif vivait comme s’il n’arrivait pas à élaborer le deuil d’un objet aimé. Il vit la perte de celui-ci comme une frustration à laquelle il réagit agressivement, et d’autant plus que l’objet perdu a été plus idéalisé, comme s’il avait pris en quelque sorte la place du moi du malade (Maria Torok). Ainsi est entretenu le sentiment de dévalorisation de soi, de même que, par voie de conséquence, l’idéalisation de ce que l’on a cru perdre et de tout ce que l’on ne peut atteindre.La femme est plus souvent sujette à cette crise de dévalorisation, en raison sans doute du contexte socioculturel: c’est ainsi que les épisodes ou les accidents de la vie affective ou sexuelle (accouchement, avortement, stérilité, castration chirurgicale, ménopause) peuvent avoir un retentissement particulier. Chez l’homme, mais aussi chez la femme, les difficultés rencontrées au sein de l’activité professionnelle, par exemple les aléas de la reconversion, le chômage, la mise à la retraite, entraînent des perturbations similaires.En dehors de ces deux grandes formes cliniques que sont la dépression mélancolique et la dépression névrotique, il existe des états dépressifs qui sont des réactions à un surmenage ou à des pertes mais à propos desquels on ne peut pas pour autant faire l’hypothèse d’une personnalité névrotique dépressive sous-jacente. Un certain nombre d’affections somatiques peuvent commencer à se manifester par un état dépressif, notamment des affections cérébrales (traumatisme crânien, tumeur cérébrale, insuffisance circulatoire cérébrale). Il en est de même de certaines atrophies cérébrales séniles ou préséniles d’origine autre que vasculaire. L’état dépressif peut apparaître aussi comme la première manifestation d’une évolution cancéreuse sous-jacente qui se manifestera quelques mois plus tard. De même, un certain nombre d’affections endocriniennes (insuffisance surrénale, hypothyroïdie...) peuvent, au cours de leur évolution, s’accompagner d’un état dépressif.Facteurs biologiques et thérapeutiquesComme on vient de le voir, la découverte d’une dépression au cours d’affections somatiques, cérébrales notamment, et les modifications d’humeur engendrées par certaines thérapeutiques modifiant l’équilibre métabolique ont, depuis longtemps, attiré l’attention sur la corrélation entre certaines modifications biologiques et l’état dépressif. Depuis le milieu des années 1970, la présence d’anomalies biologiques accompagnant des états dépressifs paraît tout à fait démontrée, même si leur signification, leur rôle dans le déclenchement du processus pathologique, leur intrication avec les facteurs psychogènes ou sociogènes restent problématiques.L’intérêt s’est porté sur le métabolisme des amines cérébrales et l’on tend à admettre qu’il existe, dans certains états dépressifs, une hyposérotoninergie et, dans d’autres, une hyponoradrénergie. Les explorations endocriniennes statiques ont mis en évidence depuis longtemps un hypercortisolisme qui peut être décelé par certains tests (test à la déxaméthasone), ces tests étant particulièrement perturbés dans 50 à 60 p. 100 des cas de dépression mélancolique. On sait que les amines cérébrales jouent un rôle dans la transmission au niveau des synapses et que les médicaments antidépresseurs agissent sur le métabolisme des monoamines. On peut maintenant décrire, dans certaines zones cérébrales, des récepteurs, entités moléculaires qui captent de façon sélective ces mêmes substances antidépressives. L’augmentation et la diminution d’hypersensibilité ou d’hyposensibilité de ces récepteurs commençant à être connues, on possède donc maintenant un tableau beaucoup plus précis du point d’impact des thérapeutiques antidépressives. Cependant, malgré le développement de ces recherches biologiques, on ne peut pas être absolument certain qu’elles aient la valeur d’un indicateur biologique qui permettrait de confirmer l’existence, dans tel ou tel type de dépression mélancolique ou névrotique, d’anomalies plus spécifiques des monoamines cérébrales.Grâce à ces apports, le traitement des dépressions nerveuses a fait de grands progrès. On connaissait, depuis 1938 (Cerletti), l’action des cures d’électrochocs dans la dépression mélancolique. Cette thérapeutique reste utilisée dans les mélancolies graves, mais depuis 1958 (Kuhn) ont été mises au point des chimiothérapies, beaucoup plus maniables que l’électrochoc. Certains antidépresseurs de la famille des inhibiteurs de la mono-amino-oxydase et d’autres tels que les dérivés de l’iminodibenzyl donnent des résultats positifs dans plus des deux tiers des dépressions, quel qu’en soit le type.En ce qui concerne les formes mélancoliques unipolaires et surtout bipolaires, la thérapeutique par les sels de lithium se révèle très intéressante, surtout lorsqu’il y a une charge héréditaire (Mendlewicz). Le lithium n’a pas d’action antidépressive immédiate importante, mais il agit, au contraire, comme préventif de la rechute dépressive. Il s’agit d’un traitement qui doit être contrôlé rigoureusement et poursuivi pendant de nombreuses années, la femme devant alors éviter toute grossesse en raison d’un risque d’anomalies du fœtus. La chimiothérapie est de plus en plus utilisée en association avec une action psychothérapique plus ou moins poussée. Cette action est très difficile à mettre en œuvre dans la dépression mélancolique, face à laquelle on est amené à prendre des mesures autoritaires et conservatrices, souvent en prescrivant une hospitalisation. La psychothérapie du déprimé névrotique passe toujours par un moment au cours duquel le psychothérapeute prend le rôle de point d’appui pour le malade, mais, dans un deuxième temps, il arrive souvent que le thérapeute doive se résoudre à ne plus répondre au rôle magique de toute-puissance que le malade veut lui faire jouer et accepter, dans une certaine mesure, son propre échec pour permettre au patient d’assumer le sien et de sentir, par là, qu’une limitation de la toute-puissance ne débouche pas pour autant sur l’impuissance, la non-valeur ou la honte. La dépression névrotique reste, par ailleurs, une bonne indication pour les techniques psychanalytiques, dans la mesure où l’on a affaire, dans ce cas, à une personnalité dépressive, fragile narcissiquement. Les thérapies comportementales, auxquelles on fait appel ici ou là pour le traitement de la dépression, se proposent, pour leur part, de modifier par le conditionnement les structures cognitives dépressives et de renforcer des comportements qui aboutissent à faire accepter par le sujet des satisfactions bénéfiques.
Encyclopédie Universelle. 2012.